Je parle très rarement d'argent dans la vie de tous les jours. Mais on ne peut éviter les conversations au travail sur le coût de la vie ou les obligations financières des collègues mal organisés ou des achats tape à l'oeil de ceux qui aiment qu'on parle d'eux. Mais récemment, j'ai eu une étrange conversation avec des collègues et j'étais, de façon anonyme, le centre du sujet.
Le Gym
Tout a commencé avec une question bien banale: "Connaissez-vous un bon gym". J'ai demandé car, au bureau, on a un budget pour le gym, ce qui est un des avantages de toujours travailler.
J'ai obtenu plusieurs réponses mais une d'entre elles m'a fait sursauter : Collègue: "Il y a un bon gym dans mon coin mais c'est juste des riches qui y vont". Moi (Anonymous): "Ha! Et comment fais-tu pour savoir qu'ils sont riches ?" Collègue: "C'est facile à voir, ils s'entraînent tous avec des vêtements qui coûtent cher". Anonymous: "Donc tu veux dire que les gens au gym dépensent beaucoup pour leurs vêtements, pas nécessairement qu'ils sont riches. Tu juges la richesse des gens avec leur consommation, pas selon leurs épargnes". Collègue: "Écoute (sur un ton paternaliste), les gens qui gagnent beaucoup d'argent aiment montrer qu'ils en ont. Sinon, c'est quoi le but d'avoir de l'argent si tu ne le montres pas ?". Anonymous: (menton qui touche à terre) "Bien, le but en soi n'est pas d'avoir de l'argent, mais de bien gérer ses affaires. L'argent est, en quelque sorte, une simple conséquence de tes choix de consommation". Collègue: "Complètement faux. Tous les riches que je connais aiment bien montrer qu'ils ont de l'argent." Anonymous: "Pourtant, une étude aux États-Unis contredit ce préjugé. C'est contre-intuitif mais elle démontre clairement que la grande majorité des millionnaires ont des maisons et des voitures 'dans la moyennes' et des habitudes de consommation frugales. Il y a un livre très intéressant sur ce sujet, écrit par Nicolas Bérubé, et qui s'appelle justement Les Millionnaires ne sont pas ceux que vous croyez." Collègue: "Aye, écoute (ton "je sais tout"), si tu avais un million en banque, je te jure, tu ne pourrais pas t'empêcher d'acheter un gros char ou une grosse maison pour le montrer." Anonymous: (menton qui touche à terre, encore) ... Bon, j'ai rien dit mais j'avais vraiment le goût de lui répondre "Veux-tu parier $1 million là- dessus ...".
Les autres collègues
Ça c'est seulement une des conversations de la semaine. Curieusement, il y en a eu quelques autres. La plupart tournait autour de la voiture.
Quelqu'un m'a entendu dire que je louais une voiture ce week-end. Surpris, comme si je venais de dire que j'aimais me promener tout nu dans la rue, il me posait plein de questions, comme si je venais d'une autre planète (mon collègue est Russe, alors prenez un accent en roulant les "R"): Collègue: How do you do grocery? Anonymous: Ben, j'habite près du centre-ville. J'achète selon mes besoins près de la maison, en rentrant après le travail. Je fais quelques grosses commandes quand j'ai la voiture... Collègue: Vat ? You rent car to do grocery? This not make sense. Haha. Do you know how much cost you to do grocery ?!? Anonymous: Ben là ... premièrement, tu as acheté une voiture pour faire l'épicerie, ça te coûte encore bien plus cher. Moi je paye juste pour m'en servir, toi tu continues à payer même quand tu vas dormir ! Mais sinon, c'est une question d'habitude. Quand je loue une voiture, j'en profite pour faire une grosse épicerie, passer chez Rona, aller chez Ikea ... bref, je concentre les activités qui demandent une voiture pour les faire ... mon transport me coûte moins de $200 par mois, une voiture neuve un week end sur deux. Collègue: Oh, ya ... I see ... hum ... (je vois une étincelle dans ses yeux ... il comprend !).
J'ai deux autres collègues avec qui j'ai eu une conversation similaire. Un qui habite dans Griffintown à moins de 15 minutes à pied du travail, et l'autre, un jeune indien qui vient de déménager à Longueuil et pense acheter une voiture (la deuxième du couple) car il craint d'avoir trop froid cet hiver pour aller au métro ...
Mon collègue qui habite Griffintown vient ... en voiture. Il se lève trop tard donc, pour pas perdre 15 minutes le matin, il prend la voiture. Ça veut aussi dire qu'il a un stationnement à environ $300 par mois (en passant, le prix d'achat d'un stationnement peut atteindre $100,000 à Montréal dans certaines tours de condo. On est chanceux, c'est maintenant près de $1,000,000 à Hong Kong !!!). Ça ne va pas aller en s'améliorant, car il cherche maintenant à acheter loin en banlieue, où les maisons sont moins chères...
Mon collègue indien, plein d'énergie, habite Montréal depuis peu. Sa blonde vient de le convaincre des avantages d'habiter à Longueuil (appartement neuf, moins cher, une cour...). Mais comme c'est son premier hiver, il songe à acheter une voiture pour éviter de marcher au métro lorsqu'il fera -20c ...
C'est quand même drôle. Ils travaillent tous les deux en finance et n'ont aucune idée de ce qui rentre et sort de leur portefeuille. M. Griffintown veut aller en banlieue pour payer moins cher mais il est tombé par terre quand je lui ai dit qu'une voiture c'est l'équivalent d'environ $165,000 sur une hypothèque. Lui qui veut sauver de l'argent en déménageant plus loin, il va se retrouver perdant car il devra acheter une deuxième voiture.
Mon collègue indien, quant à lui, ne pouvait pas me croire quand je lui ai dit qu'avoir deux voitures neuves c'est tout comme partir avec $330,000 en moins pour acheter un condo (je peux vous garantir que Québécois ou Indien, les mentons nous touchent à terre quand on entend ce chiffre! ). En fait, j'ai même dit à mon collègue indien que sa deuxième voiture, si non nécessaire, lui coûtera plus d'un $1 million ... donc gèle-toi les oreilles un peu pour aller au métro, tu prendras ta retraite au soleil plus rapidement !
Ces conversations me prouvent deux choses. De un, ce n'est pas parce qu'on travaille en finance qu'on sait compter. De deux, les gens sont souvent attirés par les économies à court terme sans penser au long terme. Et ça, c'est sans prendre en considération les économies de temps à ne pas être pris dans le trafic ...
Conseil de pro Quand vous êtes médecin et que vous entendez des sotises sur la santé, vous pouvez répondre "c'est ridicule, je suis médecin et ce que vous dites ne fait aucun sens". Même chose pour un plombier, un électricien ou autre profession. On va vous écouter.
Mais être millionnaire, ce n'est pas une profession. Comme l'argent est encore tabou, dire aux gens "écoutez mes conseils, je suis millionnaire" ne passerait pas. De toute façon, on ne veut pas entendre ce qu'on a à dire car, avouons-le, ce serait assez plate. "Dépensez moins que ce que vous gagnez...", "c'est sur du long terme...", "soyez discipliné ...". Beurk ! Vous allez me dire "il y a quand même les conseillers financiers". Laissez-moi vous répondre que les conseillers sont souvent des jeunes avec encore des dettes d'études. Ils n'ont même pas encore leur diplôme en main que déjà ils ont une grosse bagnole et une maison neuve en banlieue (et plein de dettes) pour "montrer" qu'ils ont réussi et que vous pouvez donc leur faire confiance. Incapables de faire un simple budget, ils sont très bons pour vous vendre les produits financiers complexes qui cachent bien la commission qu'ils empocheront sur chaque vente. Ils se concentrent souvent sur les entrées de fonds plutôt que les sorties. Des gens qui "aiment" l'argent font rarement de bons conseillers. J'ai beaucoup d'anecdotes à ce sujet... Mais être "millionnaire" n'est pas une profession. Personne prend un rendez-vous pour en rencontrer un comme on fait avec un dentiste. Il n'y a pas de groupe Meetup "one-on-one" avec un millionnaire. Il n'y a pas de conférence avec un "vrai" millionnaire, il n'y a que celles avec celui qui veut vous vendre un livre intitulé "comment devenir millionnaire à $250 la copie" (à part peut-être Mister Money Moustache). D'ailleurs, un "vrai" livre qui donne la recette pour devenir millionnaire serait assez plate à lire ... il n'y aurait que trois lignes qu'on pourrait écrire sur une carte de Dany Turcotte: 1) dépensez moins que ce que vous gagnez (ou faites un budget), 2) investissez, 3) soyez patient. Voilà ... manque juste la page couverture de Anonymous en jeans assis dans son salon bien simple, et non celle qu'on voit habituellement d'un homme en habit assis dans un sofa en cuir capitonné devant un foyer, cigare et scotch en main.
Se faire plaisir Des habitudes de millionnaire, ce n'est pas de tout repos. Si vous saviez combien je marche ... des kilomètres et des kilomètres chaque semaine, sous la neige et la pluie. Des fois juste parce que je n'ai pas acheté ma carte de métro, pensant ne pas m'en servir assez pour le mois ... "pas rentable" que je me dis. Et comme je ne prends jamais le taxi ... Parfois, je ris de moi. Quand je marche longtemps à 0c, qu'il pleut et que je me fais splasher par des autos, je me dis "wow, tout ça pour sauver $3 de bus ...". C'est pas drôle la maladie de ne pas vouloir gaspiller !
En fait, être millionnaire, c'est un peu ça. Pas vouloir gaspiller. On ne dépense pas pour des choses qu'on peut faire soi-même. On répare la porte au lieu d'appeler un homme à tout faire. On peint soi-même son condo ou son appart. On recoue les bas troués. On y pense deux fois avant d'acheter quelque chose pour être certain que ça va pas finir dans un tiroir à rien faire en arrière des cadeaux inutiles du beau-frère. Acheter quelque chose d'inutile, c'est un peu comme transformer quelque chose d'utile (argent) pour quelque chose qui ne nous rapportera ni plaisir ni intérêt. Autrement, un objet sans intérêt ...
Comme une drogue
Je me rappelle de cette scène dans Les Invasions Barbares où Rémy fume son joint d'héroïne avec Nathalie qui, héroïnomane, lui dit que les gens consomment pour tenter de retrouver le feeling de la première fois.
Ou encore, le livre "The Subtle Art of Not Giving a Fuck" qui décrit comment la consommation engendre plus de consommation ... comme une drogue. Quand vous avez goûté à la BMW, c'est difficile de revenir à la Lada. C'est un peu d'ailleurs pourquoi on voyage encore en back pack et qu'on dort dans des auberges de jeunesse (d'ailleurs, à ce titre, on pense partir des auberges de "vieillesse". Si jamais il y a des investisseurs !).
Il y a un certain temps, un ami m'a dit "achète-toi donc une BMW, fais-toi plaisir. Tu sais, si un jour tu apprends que tu as le cancer, tu vas regretter de ne pas en avoir profité". C'est drôle, mais je lui ai répondu du tac au tac "Si un jour j'apprends que j'ai le cancer, la voiture est la dernière chose à laquelle je vais penser".
Comme les millionnaires invisibles, j'ai compris ce qui me rend heureux et ce qui compte pour moi. Avec mon ratio élevé "bonheur/dépense", je peux vous garantir que je ne le retrouve pas dans la consommation. J'aurais bien aimé répondre à mon collègue, celui du gym, qu'il ne connaît peut-être pas vraiment de millionnaire. Que le millionnaire invisible se fout royalement des qu'en-dira-t-on et ne cherche pas à impressionner personne. Que ces millionnaires ne le seraient peut-être plus justement le jour où ils consommeraient dans le but de "montrer" qu'ils ont de l'argent, car ils en auraient beaucoup moins par la suite... d'ailleur, ce collègue, il a une BMW X1 qu'il aime bien montrer. Mais j'aimerais bien voir son portefeuille ! En fait, j'oubliais presque ... j'aurais bien aimé aussi finir la conversation sur le gym et demander, finalement, lequel a un bon ratio qualité-prix !
Du bonbon.